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CHAPITRE LXXX

JOSEPH DE MAISTRE

« La bastonnade, dit le Comte, était chez les Romains une peine avouée par la loi, mais nul homme non militaire ne pouvait être frappé avec la vigne, et nul autre bois que celui de la vigne ne pouvait servir pour frapper un militaire. Je ne sais comment quelque idée semblable ne s’est présentée à l’esprit d’aucun souverain moderne. Si j’étais consulté sur ce point, ma pensée ne ramènerait pas la vigne, car les imitations serviles ne valent rien ; je proposerais le laurier. » À quoi le Chevalier répond en ces termes : « Votre idée m’enchante, et d’autant plus que je la crois très susceptible d’être mise à exécution. Je présenterai bien volontiers, je vous l’assure, à S. M. I. le plan d’une vaste serre qui sera établie dans la capitale, et destinée à produire exclusivement le laurier nécessaire pour fournir des baguettes de discipline à tous les bas officiers de l’armée russe. Cette serre serait sous l’inspection d’un officier général, chevalier de Saint-Georges au moins de la seconde classe, qui porterait le titre de Haut Inspecteur de la Serre aux Lauriers ; les plantes ne pourraient être soignées, coupées et travaillées que par de vieux invalides d’une réputation sans tache. Le modèle des baguettes, qui devraient être toutes rigoureusement semblables, reposerait à l’office des guerres dans un étui de vermeil ; chaque baguette serait suspendue à la boutonnière du bas officier par un ruban de Saint Georges, et sur le fronton de la serre on lirait « C’est mon bois qui produit mes feuilles. »

J’ai transcrit sans rien omettre cette page des Soirées de Saint-Pétersbourg. Je n’ai voulu rien perdre de ce badinage cyclopéen. Voilà donc un penseur sans hypocrisie, et qui voit la guerre comme elle est. À ceux qui voudraient dire que cela c’est la guerre à la mode barbare, et que la discipline acceptée a fait voir de bien plus beaux effets, je demande pourquoi la valeur offensive des régiments Marocains et