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Ces remarques singulières, et propres à ce problème sans analogue, me conduisent à ce que je voulais dire, à savoir que si l’on croit au Fatalisme, par cela seul il est vrai. Un esprit complaisant à lui-même, et toujours incliné vers ce qui le touche fortement, est un esprit à la dérive, et livré aux forces. Et comme l’action suit, voilà un exemple de cet esprit prophétique, placé au centre des choses comme un baromètre. Car le pressentiment pris comme vrai est toujours vrai. Ce qu’il a d’abord pensé comme inévitable, il contribue à le faire par cette croyance même. S’il se croit entraîné au crime, il tuera ; si au suicide, il se tuera ; s’il se croit naturellement et invinciblement paresseux, il le sera, et ainsi du reste. Encore bien plus clairement, si tout un peuple croit que la guerre est inévitable, elle sera réellement inévitable. Que de prophètes triomphants aujourd’hui, contre lesquels il faut pourtant dire que celui qui prophétisait réalisait déjà. Chemin trop peu fréquenté, mais facile à suivre, il me semble, pour arriver à cette conclusion, c’est que pour qu’il soit vrai qu’une guerre est évitable, il faut d’abord croire qu’elle est évitable. Suivez encore l’idée. Car, à côté des fanatiques vifs, il y a les fanatiques tristes, qui essaient de parler et d’agir comme s’ils pouvaient changer l’événement, mais qui au fond ne veulent point croire qu’ils le puissent, ce qui apparaît assez par une espèce de triomphe du sentiment quand la chose redoutée arrive. Ils la reconnaissent ; ils y sont comme soulagés et délivrés ; ils connaissent enfin leur vraie force, logée dans cette partie de l’âme qui adore et subit. Convertis, ils le sont, ils l’étaient déjà. Comprenez bien ces hommes ; saisissez ce qu’il y a de sincère, ce qu’il y a d’émouvant pour eux et peut-être de délicieux à se sentir confirmés dans leur faiblesse. Aussi ne comptez pas sur eux. Surtout ne soyez pas l’un d’eux. Il faut vaincre à tout instant, sachez-le bien, cette Âme Prophétique. Il faut l’entraîner à l’Espérance, fille de Volonté.