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notre pays, léger et impie depuis tant d’années, devait un grand sacrifice. Sombre mystique de la guerre, qui s’accorde avec l’ennui, la fatigue et la tristesse de l’âge.

Autre idée, non moins mystique malgré l’apparence, mais plus commune et plus redoutable, c’est que ces grands mouvements des peuples ne dépendent pas plus de notre volonté que le vent, la pluie ou le volcan. Il faut faire plus d’une fois le tour de cette idée, à laquelle Tolstoï prête sa poésie contemplative. Mais qui ne voit que cela revient à s’abandonner aux passions, à les considérer même, à la manière des héros d’Homère, comme le signe des Dieux ? Mesurez, dans ces âmes Sibyllines, la puissance d’une colère que l’on prend comme un signe de ce qui va être, et de ce qui va être par cette colère même. Les âmes passionnées agissent toutes sous cette Idée Fataliste. Mais combien l’ivresse fanatique est encore plus puissante lorsque la passion se multiplie dans la foule et rebondit d’un homme à l’autre, en cris, en gestes, en actions ! C’est alors qu’ils disent et qu’ils pensent que Dieu est avec eux ; et peut-être, comme Proudhon le pensait, l’idée de Dieu vient-elle justement de là. « Dieu le veut » est un cri de guerre qui exprime plus d’une vérité.

J’ai observé plus d’une fois un prêtre ou un pasteur, plus décidés, plus frivoles en des propos purement militaires, que je ne croyais possible pour un homme. C’était mieux que de vieux hommes de guerre endurcis par vingt campagnes. Il y avait une espèce de modestie et un silence de la doctrine devant cette réalité oraculaire.