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impuissance. Un tel régime est loin d’être parfait ; mais, après la grande tuerie, en sommes-nous, mes amis, à chicaner sur de petites choses ? L’état comme tel est toujours médiocre ; hésitant, paresseux et sot, comme on l’a assez vu, et comme j’ai tenté de l’expliquer. S’il ne tue point et s’il ne médite point de tuer les plus vigoureux et les meilleurs, me voilà assez content.

Remarquez que la sagesse, la justice, la grandeur d’âme des individus ne dépendent nullement de l’État ; et c’est bien ainsi. Et c’est encore un effet de la misanthropie hypocondriaque de nous faire croire le contraire. L’homme mûr et fatigué voudrait alors que la résignation, la noblesse et la sérénité lui soient distribuées comme la lumière ou l’eau. Or l’état, toujours décrépit et irrésolu par sa nature, ne sait que réchauffer l’enthousiasme au son du tambour ; il se tire de tous les embarras par le vieil art militaire. Ainsi tout l’art de gouverner se réduit à tirer parti des ennemis que l’on se fait par l’imprévoyance, la sottise et la vanité. Une vue sommaire des causes, un contrôle sévère, un mépris tranquille arrêtent aussitôt cette politique de vieux enfants, comme on l’a vu, comme on le verra. Et sans que les hommes changent beaucoup. Car ce n’est pas difficile. Seulement ce qui est difficile, c’est de croire que ce n’est pas difficile.