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trop ces gens-là. Je me lassais de ce blâme toujours éveillé, toujours armé. Un pauvre homme disait : « Ma politique, c’est ma soupe et mon lit. » Mon pauvre Alain, me disais-je, puisque tu ne t’es pas assez détourné de ta soupe et de ton lit, il faut maintenant manger cette soupe de soldat, et coucher sur ces planches. Il faut payer les années d’acquiescement.

Il serait doux maintenant de revenir aux belles-lettres. Cette fatigue universelle, qui nous assure des années de paix, durera bien autant que moi. Plus d’un marchand d’imprimés m’a fait entendre que les cadavres sont enterrés, et que déjà les livres sur la Guerre ne se vendent plus. Toute colère vient à sa fin ; et toute expérience pénible est bientôt oubliée. Vais-je consentir encore à ce jeu des pouvoirs dont je prévois si bien les effets ? La Victoire est comme une tête de Méduse, que l’on promène sur le pavois. La joie est forte. La soupe et le lit parlent éloquemment au soldat revenu. Je compte aussi ces amis précieux qui me laissent dire, en se regardant, comme on attend les dernières gouttes de l’orage. « Soldat mécontent », disait l’un d’eux, qui certes a de l’esprit. Contre quoi le spectacle d’un aveugle de guerre ou d’un amputé agit par un choc qui heureusement ne s’affaiblit point. Mais l’arrogance, la puérilité, la sottise, l’emphase des pouvoirs agit peut-être encore plus énergiquement contre l’Oubli. Merci, Messieurs.