Page:Alain - Mars ou la Guerre jugée, 1921.djvu/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Guerre, tout est clair, il me semble ; c’était le premier mouvement d’une révolte universelle.

La guerre remit tout en ordre, si je puis dire. « Je n’admets pas que l’on mette en doute la parole d’un officier français » ; ce mot célèbre m’avait paru traduire seulement le paroxysme des passions, et sous une forme ridicule. Mais l’expérience quotidienne, en ces terribles années, me fit voir que c’était bien un axiome de pratique à l’usage des esclaves. Si attentivement que l’on réfléchisse aux conditions de la guerre, il est impossible de bien connaître les effets du pouvoir absolu, tant qu’on ne l’a pas subi. Je n’irai pas jusqu’à soutenir que la guerre fut voulue et préparée comme une revanche, afin de nous mettre le carcan au cou ; là-dessus on discutera sans fin, et l’esprit s’y perd. Ce qui n’est nullement douteux, c’est que ce pouvoir absolu fut exercé fastueusement, et supporté sans résignation. La guerre fut, aussitôt et par elle-même, la victoire des puissances. Aussi disent-elles naïvement : « Comme ce serait beau si nous restions ainsi unis dans la paix ! » Le propre du tyran est de croire que l’esclave est heureux d’obéir. Mais j’attends la riposte des masses, selon la méthode de Combes, qui nous est heureusement connue ; et cette victoire sera sans violence, comme la première, mais bien plus durable, si ces cinq ans d’esclavage ont assez instruit les esclaves, comme je crois.

« Comment pouvez-vous, me dit quelqu’un, diminuer ainsi une grande chose ? Il y eut bien d’autres sentiments, et bien d’autres idées en jeu ; et pour vous-même aussi je le parie. » Mais oui ; je l’entends bien. Il y a eu mille autres choses, dont je compte bien n’oublier aucune. Mais il y a eu celle-là, qui, à mes yeux, n’est pas petite.