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LETTRES D’ALAIN

enracinée. Mais le mot lui-même, par son double sens, exige que nous joignions la pensée au corps. Car, qu’est-ce que reprendre sentiment sinon s’éveiller à l’existence souffrante, alarmée, dépendante ? Et cette diffusion de l’âme dans le corps est comme une résurrection du pouvoir ; nous ne sentons et nous ne nous sentons qu’en essayant notre propre vie comme par une discrète gymnastique des départs et des arrêts. Cette pensée avec les doigts est le propre de l’athlète ; et c’est ce que signifie une statue grecque ; le corps se reconnaît pensant.

Cet heureux état n’est pas aussi commun qu’il devrait ; car en tout temps et surtout en notre temps, par l’usage des abrégés et des abstraits, il se fait une pensée séparée et presque sans corps, comme si quelqu’un pensait l’astronomie sans lever la tête. Et dire qu’une