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apprivoisé et dressé ; car c’est presque notre semblable, et les différences éclatent par cela même. Il est urbain, comme il est enfantin, de croire à l’amitié des bêtes. Tout n’est pas idylle en cette familiarité, car on mange le bœuf. Si le bœuf se fie à l’homme, le bœuf a bien tort. C’est une raison de ne pas tant se fier au bœuf, même sans compter le coup de corne. Aussi l’on observe chez les dresseurs, qui font profession d’aimer les bêtes, et qui sans doute les aiment d’une certaine façon, une brutalité fort prompte ; c’est alors que l’on peut dire, en suivant Eschyle, que force gouverne et que violence n’est jamais loin ; et il en résulte, dans l’animal, des mouvements de peur qui en vérité sont très impolis. Ainsi c’est la familiarité même qui a interposé entre les deux regards un milieu trouble et une sorte de voile. Le tyran ne cesse jamais de se durcir. Comment analyser cette étrange formation de l’homme, qui explique, par le dressage des