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objet, les mouvements que l’on ferait s’il était présent. Mais le propre de l’émotion est dans l’éveil même, ou plutôt l’alarme, de toutes nos fonctions, d’après une première secousse. Et la secousse vient souvent d’une petite chute, quand ce ne serait que d’un doigt, qui s’endort mal couché, et ainsi se réveille, comme on voit que le dormeur qui lisait son journal est réveillé par l’abandon même qui est propre au sommeil. Et, parce que la secousse initiale s’irradie par les communications nerveuses, fort promptes et en tous sens, l’alarme gagne, et nous sommes aussitôt prêts à tout, sans savoir à quoi. Cette croissance ressentie d’un trouble dont on ne comprend pas la raison, c’est la peur même. Le proverbe dit que la joie fait peur ; c’est sans doute que l’on a peur de tout mouvement qu’on commence sans l’avoir voulu. Et, comme on a peur de la peur, on peut dire que l’émotion pure est peur.