Page:Alain - Le Citoyen contre les pouvoirs, 1926.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.






LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

supposer que cette importante nouvelle fut aussitôt communiquée au Ministre des Affaires étrangères à Paris. D’après les documents russes, M. Isvolski a lu cette dépêche avant le 31 juillet au matin. Or non seulement cette dépêche manque à notre Livre Jaune, mais tout ce que nous savons des démarches françaises en cette journée du 31 juillet montre clairement que nos hommes d’État feignaient de ne l’avoir point reçue ; il est même vraisemblable qu’elle n’a pas été communiquée au Conseil des Ministres.

Remarquez que si ce procès était débattu en Haute-Cour, la défense aurait beau jeu. Car, premièrement, où est l’article de notre Constitution qui oblige le Président, supposé saisi par son ministre des Affaires étrangères, de lire aussitôt en Conseil une dépêche de ce poids-là ? Secondement il y avait plus d’une raison de garder secrète une nouvelle qui ne pouvait que précipiter les événements et annuler toutes les manœuvres de la prudence. Si la guerre devait suivre, il fallait garder ce lourd secret, afin que notre allié gardât l’avance. Si la paix pouvait encore être sauvée, il fallait encore garder secrète, à tout prix, cette dangereuse manœuvre russe. Puisqu’il serait nécessaire alors qu’elle fût arrêtée et niée. Ainsi l’Accusé triompherait sur ce point, et vraisemblablement sur tous les points.

Seulement le procès ne se plaide pas en Haute-Cour, et il ne s’agit point pour nous autres de condamner, mais seulement de connaître. Or cette dépêche russe fait voir que dès le 31 juillet au matin notre Maître savait que la guerre était inévitable, et,

bien mieux, qu’à ses yeux notre conduite dépendait

⸻ 80 ⸻