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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

L’habile homme prit le temps de réfléchir, pendant que les autres, plus naïfs, pensaient à toutes les fautes qu’ils avaient faites dans ce jeu difficile. « Les tyrans, dit l’homme habile, joueront toujours la même carte, et gagneront souvent. Là-dessus les prêtres, les riches et les académiciens s’entendent très bien. Ils nous font peur de la peur et honte de la peur, et nous voilà sous les drapeaux comme on dit, et eux régnant. Car nous aimons mieux mourir que d’être soupçonnés d’aimer une paix peureuse. C’est pourquoi nous devons chercher la paix par quelque autre discours, faisant ressortir l’injustice des uns, la niaiserie des autres, l’insupportable infatuation des uns et des autres. Ici tout homme se redresse sans aucune peur, et rit. Par où, si l’on saisit bien le moment, les tyrans sont par terre, et la paix assurée par cela seul. Surtout, quand nous voyons les plus redoutables parmi les peuples balancer ainsi que nous sur le tranchant, hésitant entre deux esclavages et cherchant lequel est le plus déshonorant, de supporter l’infatuation étrangère ou l’infatuation nationale. Or on ne peut vaincre la première sans subir la seconde, au lieu que, la seconde vaincue, la première devient par cela seul entièrement chimérique. Mais cela nous ne le prouverons assez que par le fait ; quand les assembleurs de nuages auront perdu ce trop commode pouvoir de faire la tempête en même temps qu’ils l’annoncent. C’est pourquoi allons par où le peuple nous pousse. Car le pouvoir des prêtres peut faire rire ; et même le pouvoir des riches n’est pas grand chose dans la paix ; mais comptez comme redoutable le pouvoir qu’ils ont les uns et les autres de nous tenir en armes en vue de se

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