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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

bien mieux, nous affirmons qu’il l’a fait. Les plus naïfs croient qu’il l’a fait depuis des années et depuis des siècles, parce qu’il est comme il est et que rien ne le changera.

J’avoue que pris en gros il est comme il est et que rien ne le changera, de même qu’un homme de Lille est un homme de Lille, un breton, breton, et un marseillais, marseillais. Cette image moyenne et invariable, œuvre de la lumière, du vent et des eaux est en effet quelque chose, comme le plumage du rouge-gorge est quelque chose ; et quoiqu’il y ait des différences notables selon les individus, tous semblent soumis à quelque modèle constant, qu’ils réalisent plus ou moins. Et quoiqu’il soit fort difficile de dessiner et définir ces types ethniques, nul ne peut leur refuser audience en ses pensées. L’erreur est de croire que les projets, les actions, les vertus et les vices, le bien et le mal, soient déterminés par là.

Vous croyez savoir ce que c’est qu’un Français. Mais quand vous aurez, non sans peine, défini la masse française par l’humeur, par la langue, par les œuvres littéraires, par l’architecture, par le mobilier, par un certain genre de sociabilité et de politesse, décidez donc, d’après cela, si cette masse est pacifique ou guerrière. L’un ou l’autre aussi bien ; et je conviens qu’en des dispositions tout à fait opposées ce peuple sera toujours le même en un sens ; comme un homme en colère, ou assuré, ou défiant, ou confiant, est toujours le même homme. Qui aura observé comment cette invincible nature se retrouve la même en des actions tout à fait différentes, en des affections, en des passions opposées, en des pensées médiocres ou profondes, dans le rire, dans les larmes, dans l’en-

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