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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

relever. Lecteur, tu m’as deviné, et tu résistes ; tu rassembles ce qui te reste de vertu civique pour prononcer ce mot qui rend laid. On a bien le droit d’être laid, si c’est pour la patrie. Mais attends.

Donc il l’a dit. Et c’est un homme d’âge, impropre à l’action vive, mais de culture passable et de mœurs douces ; consciencieux en son métier, et du reste, autant que j’en puis juger, ayant peur de tout. Il l’a dit ou plutôt il l’a jeté, avec sécurité et décision, comme s’il attendait l’occasion, et c’était une pauvre occasion ; il s’agissait d’une œuvre de langue allemande, ancienne et depuis longtemps classique. L’intention d’insulter, et d’insulter toujours, n’en était que plus claire ; et il n’y avait point là d’homme pour recevoir l’injure, et prêt à répondre à coups de poing. Telle est la situation qui me fit monter le rouge au visage ; car je respecte la forme humaine.

Je n’examine pas si l’injure est méritée, et par qui méritée. Je n’en suis pas là. Je suis en présence d’une injure, c’est-à-dire d’une action de guerre, qui appelle une riposte de guerre. Dès que l’on en vient à rassembler en un seul mot, choisi à cette fin, toutes les raisons de haïr avec le refus d’examiner ou seulement d’attendre, il faut être prêt à se battre. Selon un Jugement Universel, qui va droit à la vérité de la chose, il faut que l’insulte soit aussitôt guerre ; car il n’y a point de droit d’insulter. Et c’est une coutume invariable chez tous les peuples que l’insulteur doit payer de sa personne, dès que l’insulté l’exige. Le duel n’est pas étranger à la raison, en ce sens que, par une logique invincible, la violence devant suivre l’injure, le plus tôt sera le mieux. La profonde

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