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LA GUERRE NAÎT DES PASSIONS

naissance de ne priver jamais ce pays-ci d’aucune de nos pensées libres, ni d’aucun des ornements qu’y met notre humeur, ni de notre prudence que vous appelez imprudence, et qui s’explique par cette assurance de soi, qui permet aux autres d’être indifférents. Par quoi Descartes m’est frère, mais aussi Gœthe ne m’est pas ennemi. Je n’ai pas ici à me défendre, et la fidélité m’est substance et non attribut. C’est pourquoi je rirai de nos Académies, si cela me plaît, et je criblerai de flèches nos rois emphatiques, et je sifflerai Saint-Saens, et j’aimerai Wagner. Mais j’avoue que cette liberté ne s’apprend pas en vingt leçons. »


« Qu’il est difficile d’être LA POLITESSE ENVERS
LES NATIONS.

« Qu’il est difficile d’être content de quelqu’un. » Cette sévère parole de La Bruyère doit déjà nous rendre prudents. Car le bon sens veut que chacun s’adapte aux conditions réelles de la vie en société ; et il n’est point juste de condamner l’homme moyen ; c’est folie de misanthrope. Donc, sans chercher les causes, je me garde de considérer mes semblables comme si j’étais un spectateur qui a payé sa place et qui veut qu’on lui plaise. Mais au contraire, repassant en moi-même l’ordinaire de cette difficile existence, je mets d’avance tout au pire ; je suppose que l’interlocuteur a un mauvais estomac ou la migraine, ou bien des soucis d’argent, ou des querelles domestiques. Ciel douteux, me dis-je, ciel de Mars, gris et bleu mêlé, éclairs de soleil et bise aigre ; j’ai ma fourrure et mon parapluie.

Bon. Mais il y a mieux à penser là-dessus, si l’on

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