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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

refusât d’obéir aux lois ; mais, pour ses pensées, il prétendait ne croire que lui-même. Les dieux étaient jugés. Cet homme voulait savoir si c’est parce que les dieux l’ordonnent que le juste est juste, ou s’il ne faudrait point dire, au contraire, que c’est parce que le juste est juste que les dieux l’ordonnent. C’était élever l’individu au-dessus des dieux. Autant de fois que Socrate renaîtra, il sera condamné ; mais nous gardons l’idée ; nous la portons tous ; personne ne l’a encore mesurée.

Cependant les anciens peuples dormaient selon la Coutume. Ils ne pensaient que par monuments, danses et cérémonies. Leurs symboles restaient des énigmes, pour eux encore plus que pour nous. La Pyramide rejette tout commentaire. Cette masse sans jour et sans passage, cette pointe aussi, refusent nos pensées. La tour de Babylone, elle aussi, autant que nous savons, n’exprimait qu’elle-même. Mais, en Grèce, les symboles commençaient à fleurir. L’oracle Delphien inscrivait à son fronton la maxime « Connais-toi. » C’était montrer de l’esprit. D’où Socrate et la longue suite des révoltés et des incrédules. Le christianisme, à bien regarder, et même le catholicisme, malgré un prodigieux effort d’organisation, doivent être considérés comme des écoles d’incrédulité. Les castes, la hiérarchie, les coutumes, les costumes, ce ne sont plus que des apparences pour les sots ; et il n’y a plus de sots. Le catéchisme enseigne à tous, et aussi bien aux esclaves, qu’il y a un ordre de l’esprit, invisible, un royaume des esprits, des rois dans l’enfer et des mendiants au paradis.

Dans un roman hindou, qui est de Rabindranath Tagore, on trouve un potier accablé d’injustices,

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