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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

musculaires perdus, je me demande si la puissance mécanique obtenue dépasse jamais, au total, la somme du travail musculaire dépensé. Mais quel comptable tiendra ce Grand Livre ?


Un cheval est une machine qui rend BONNES ET MAUVAISES
MACHINES.

Un cheval est une machine qui rend évidemment plus de travail qu’on ne lui en fournit. Comptez les soins de capture, ou les soins d’élevage, et la fabrication de la bride, du mors, de la selle, comptez même la culture des prairies, il est clair que le cavalier tient en main, modère et dirige une force explosive qui dépasse de loin ses travaux passés et présents ; un cheval pousse au soleil, en quelque sorte, comme l’herbe dont il se nourrit. Le cavalier, d’un mouvement de doigt, fait tourner le puissant animal. Ce n’est plus ici comme dans l’arc d’Ulysse, où l’archer retrouve tout au plus l’effort de ses bras. La puissance du cheval existe, et il est bien aisé de la soumettre en faisant agir la douleur, par le mors et l’éperon ; mais ces faibles travaux peuvent devenir eux-mêmes inutiles ; il suffira d’un mot.

Le bateau n’obéit point à la parole, quoique les hommes aient longtemps cru que la parole était bonne à tout. Le bateau n’obéit point non plus à la douleur, et il ne sert point de le fouetter, quoique les hommes aient longtemps cru qu’il y avait, en ces machines ailées, une espèce d’âme, favorable ou non, et que l’on pouvait fléchir ou disposer par des offrandes. Le bateau obéit au vent et au flot selon sa forme ; mais l’homme a construit cette machine de façon que la forme en fût aisément modifiable,

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