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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

Ulysse lance une flèche vers LA MACHINE CONCENTRE
LA PUISSANCE.

Ulysse lance une flèche vers le ciel ; cette flèche lui tombe sur la tête. Chacun comprend que c’est la force d’Ulysse qui blesse Ulysse, et encore diminuée. La flèche n’a point gagné des forces dans ce ciel indifférent ; au contraire, elle en a perdu par le frottement de l’air, en descendant comme en montant. C’est une partie de l’effort du bras, ramassée sur cette pointe de métal, qui perce le crâne de l’imprudent.

Lorsque des maçons ont élevé à dix mètres en l’air une pierre de mille kilogrammes, si la chaîne se rompt, c’est une puissance propre à la pierre qui semble écraser les choses et les hommes. Mais point du tout. Cette puissance invincible c’est la somme des travaux que le manœuvre a exercés sur la manivelle ; la grosse pierre, lorsqu’elle tombe, ne fait que restituer ces travaux en un court moment, et encore avec perte, principalement par le frottement des engrenages et des axes, qui se sont échauffés un peu. Comme si Ulysse avait mille fois tendu son arc, et recevait tous ces travaux ensemble ramassés sur la pointe d’une seule flèche.

Les ouvriers de la Badische Anilin ont soulevé une montagne à quelques centaines de mètres en l’air ; la corde s’est rompue, et ils ont reçu leurs propres travaux sur la tête. Toute pression est obtenue par un long travail des pompes. Pompes à vapeur sans doute ; mais remontez à l’origine, vous trouverez le travail humain, le travail d’Ulysse qui tend son arc. Le charbon était dans la terre, et tout à fait inerte ;

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