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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

qui ne veut point payer, qu’on l’enferme et qu’on le mette au pain et à l’eau ; voilà des contraintes. Mais, en cette action que l’on a projet de conduire outre-Rhin, je ne vois point la force, je vois seulement l’apparence de la force, dont je crains tout le mal possible, sans ce résultat bien clair qui est l’excuse de la force. »

« Vous pensez, lui dis-je, et chacun pense à cette méthode de lever des contributions de guerre dans une ville ennemie. Les notables sont aussitôt entourés de baïonnettes ; ils ne pensent plus à raisonner, mais à exécuter l’ordre. Le trésor sort de la cachette. »

« Est-ce encore bien sûr, que l’or sorte de la cachette ? dit Castor. N’y a-t-il point des avares qui se laisseraient piquer par les baïonnettes plutôt que de livrer l’or caché ? Et puis, il faut toujours compter avec le courage. Et n’y a-t-il pas des hommes et même des femmes qui se laisseraient fusiller plutôt que de subir la volonté de l’ennemi ? »

« Mais, lui dis-je, nous n’en sommes point là. Il n’est nullement question d’enlever une douzaine d’industriels et de banquiers, et de les mettre à casser des cailloux jusqu’à ce que leur or soit dans nos caisses. Je laisse les conséquences ; mais cela n’est même point concevable. Nous ne sommes plus au temps des mousquetaires ; nous n’aimons point la force ; il nous faut l’entraînement et l’emportement des masses en action et l’inflexible nécessité, sensible dans l’obus, l’incendie, les cadavres ; alors on ne regarde pas à un coup de botte. Mais en pleine paix, et devant l’adversaire désarmé, attaquer brutalement et sans le moindre égard, c’est ce que nous ne savons point faire, et c’est ce que nous ne ferons point. »

« D’accord, et c’est très bien ainsi, dit Castor.

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