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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

gner, il ne cessa plus d’enseigner que c’est folie à l’homme de croire en l’homme. Cette voix glaça les cœurs. À ce moment-là, je prédis la prompte chute de ce déclamateur plus redoutable que les canons et les mitrailleuses. Prédiction ridicule. Tout ce qui est sans courage se moqua de moi. Je n’ai point changé et je ne changerai point. Vive le grand Wilson toujours.

Je n’ai point changé, parce que je vois très bien comment le piège est fait. Il faut vouloir. Il faut vouloir. La guerre n’a nullement besoin de nos volontés ; elle vient par la lâcheté la plus profonde de l’esprit. Elle vient par cette sombre idée que le plus bas de l’homme mènera toujours tout. Idée facile à recevoir, trop facile. On n’a pas ici à rassembler ses forces, à rechercher des témoignages, à faire sonner humainement sa pensée, à s’élever enfin au-dessus de soi. Non ; cette opinion monte jusqu’à nos lèvres comme une marée ; nous n’avons qu’à nous laisser noyer après avoir bu. Qu’y a-t-il donc dans nos histoires qui ne soit passion, rivalités, guerres, massacres, vengeances. Il n’est pas un champ de bataille, sur cette frontière sanglante, qui n’ait vu cent batailles déjà. Il n’est pas un grand ministre, il n’est pas un grand roi, depuis qu’on écrit l’histoire, qui n’ait fait avancer des troupes à l’appui de ses raisons ; par quoi ils ont conquis une gloire éternelle. Qu’y faire ? L’homme est ainsi.

Oui, l’homme est ainsi fait que, dans les légions de César comme dans les nôtres, on a toujours trouvé des multitudes d’hommes capables de vaincre la peur, et de choisir la mort et la souffrance plutôt que la honte. « Le vice fomente la guerre, la vertu

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