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INTRODUCTION

dès qu’est apparu l’esprit historique et critique, et qu’il a fallu se faire sur les événements de la guerre un jugement d’ensemble, donner leur part au hasard, à la patience et au génie. Ce débat s’est passionné lorsque certains pays ou certains partis ont introduit dans la politique les chefs ou les procédés militaires.

Pierrefeu attaquait la légende populaire et l’histoire officielle. Sur certains points, il a eu beau jeu, et il a triomphé de bon nombre de fables. Inutile de revenir ici sur les détails des faits ; résumons seulement les deux points essentiels de sa thèse :

L’ingratitude envers les grands hommes est la marque des peuples forts, idée de politique pratique : la liberté reste le premier des biens, la sévérité critique est la première vertu civique : il ne faut subir aucun prestige, ne pas croire non plus que le succès répond de la valeur, ni le passé de l’avenir.

La difficulté et la complexité des choses dépassent trop l’étendue et la force de l’esprit humain pour qu’on puisse laisser au génie et à l’initiative personnelle la part que Plutarque veut leur donner. Pour la guerre moderne en particulier, la puissance des armes et le front continu font de la stratégie presque une imposture.

Remarquons que Pierrefeu ne tombe pas dans le fatalisme, et même qu’il donne beaucoup à l’esprit humain : il voudrait surtout faire honorer moins les qualités brillantes du génie improvisant que la méthode patiente des organisateurs. Et d’ailleurs, puisqu’il critique telle ou telle décision, tel ou tel chef, il admet par là l’importance des décisions et des chefs. Il ne nous propose pas une thèse absolue, mais une méfiance apprise dans l’histoire.

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