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À LA GUERRE L’HOMME EST OUBLIÉ

ennemis occupent l’air. Mais le grand chef ne s’occupe pas des moyens ; il ordonne et il frappe. L’ordre fait son chemin ; d’où ce discours spartiate, pendant que déjà les hélices ronflent : « Il faut que le photographe revienne ; votre mission, Messieurs les deux chasseurs qui l’accompagnez, est de faire en sorte qu’il revienne. S’il ne revient pas, il est inutile que vous reveniez, vous. » On n’invente pas de tels discours. Mais j’ai une autre raison de croire que ce récit est véritable, c’est que j’y retrouve l’esprit de guerre tel que je le vois partout, formé à l’image de l’inflexible nécessité. Le courage le plus assuré n’irait jamais au-delà du possible, comme il faut qu’il aille, sans cette contrainte toujours armée, sourde aux objections, impitoyable. Les choses se passèrent selon ce que le chef pouvait espérer de mieux d’après les difficultés de l’entreprise. Le photographe revint ; on n’eut plus de nouvelles des deux chasseurs.

Il est trop facile de s’émouvoir sur des exécutions sommaires ; et, selon moi, il y a lâcheté d’esprit à regarder toujours par là. La moindre attaque envoie à une mort certaine une partie des combattants ; personne n’en doute, parmi ceux qui ordonnent l’attaque. Il y a un risque et une chance à l’égard de l’opération elle-même ; mais en ce qui concerne la mort, la mutilation, la souffrance d’un certain nombre d’hommes, innocents de toute espèce de crime, il n’y a ni doute, ni risque, ni chance, mais bien une certitude. Voilà donc une condamnation à mort, sans examen aucun des mérites et démérites, sans considération aucune des raisons ou objections. Non pas comme aux combats de gladiateurs, où le combattant, avec sa résolution, sa force, son adresse et ses armes,

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