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LE CITOYEN CONTRE LES POUVOIRS

mais le fait restait le même ; les quantités en étaient seulement changées. Pour celui qui considère froidement l’objet mécanique, et le rapport des conditions aux effets, un simple changement de grandeur ne doit point étonner ; d’après le raisonnement et d’après l’expérience, il doit l’attendre, et nous apercevons plutôt les limites de nos ressources que les limites de la puissance des machines. L’avion qui traversera l’Atlantique n’étonnera personne ; il ne faut qu’y mettre le prix. De même pour le monstrueux canon, il ne fallait qu’y mettre le prix. Telle devait être la réponse de l’entendement.

Mais admirez le mouvement de l’Infatuation. Ce n’est point la balistique avec ses lois qui est en cause ; c’est la majesté de l’artilleur. C’est la compétence qui est visée, c’est le pouvoir qui est visé. C’est cet état heureux de l’homme qui décide sans appel et qui n’écoute jamais les objections. Je vois cet homme gonflé d’importance et qui, en tous ses jugements, s’affirme lui-même. C’est le médecin de Molière, et peut-être mieux encore. Car si le malade, devant Purgon, est à peu près au niveau de l’homme de troupe devant le tout-puissant colonel, Molière n’avait pas conçu une hiérarchie entre les médecins. Huit jours de prison, donc, à qui osera parler de cette impertinente pièce de canon. Voilà le premier mouvement. Ce n’est pas l’entendement qui répond, c’est la Vanité offensée. Cela n’est pas ; parce qu’il me déplairait que cela fût. Cette entrée en scène annonçait un développement comique d’ordre supérieur ; mais le trait final dépassa l’attente. Quand on eut cherché vainement des avions dans le ciel, quand on eut recueilli les morceaux du projectile, quand on

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