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à chaque moment, observe d’un poste qui n’est qu’à lui. De plus il y a en nous des affections vives ou passions, qui nous donnent besoin de savoir et d’instruire les autres, et qui font que nous oublions le point de vue et la sensation, c’est-à-dire toutes les réserves qu’il est sage de faire lorsque l’on affirme quelque chose. Chacun se vante d’être objectif, de parler objectivement. Mais aucun philosophe (ami de la sagesse) ne doit se croire lui-même sans réserve, et les conversations de Socrate, que Platon nous a conservées, nous donnent le modèle de la modestie du sage, qui se sait sujet à l’erreur et à la prévention. Par cette vertu on se trouve éloigné à jamais de tout fanatisme, c’est-à-dire qu’on trouve dans le semblable des raisons de comprendre qu’il diffère de nous, sans aller supposer une malice ou un orgueil. Ces suppositions sont bien inutiles dès que l’on fait attention à l’erreur et à la difficulté de sortir de soi et d’avoir part à l’esprit commun.