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tique le font voir. Quand on ne connaîtrait que ces deux notions, si l’on les connaît bien, cela fonde l’entendement et permet de comprendre l’admirable exception de Leibniz au principe traditionnel. Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu, nisi intellectus ipse. L’intellect est inné en ce sens-là, formé avant toute expérience, et comme dit Kant « par lui-même législateur de la nature ». Voilà qui est violent. Toutefois Kant a dit et répété que « toute connaissance est d’expérience ». Et c’est ce qu’il ne faut pas oublier. Ce qui veut dire, comprendre que les lois a priori des nombres n’empêchent pas qu’il soit impossible de former les nombres si l’on n’a pas des choses diverses à compter. Je dirais : « Les lois a priori n’apparaissent telles que dans l’expérience. » Je pense qu’un disciple un peu ingénieux arrivera à régulariser sa situation par ce moyen. Mais il importe beaucoup de comprendre pourquoi tant de braves gens ont tenu pour les idées innées, ou contre.

2o Voici un aspect des idées innées, et qui vous donnera une première notion de la métaphysique. En étudiant le semblable, nous avons vu naître la conscience de soi et ce que je pense. Toutes les pensées sont entre moi et mon semblable. Un mathématicien prouvait Dieu par les logarithmes. Il est clair que deux penseurs, instruits seulement des définitions, trouveront la même suite de logarithmes ; il ne se peut point qu’un esprit trouve ici autre chose qu’un autre. Trouve, où ? En lui-même comme on dit, car ce n’est point l’expérience qui nous donne un logarithme. On voit apparaître l’idée innée, c’est-à-dire l’idée que nous trouvons en nous par la réflexion. Posons le tout des idées innées possibles. Cela fait un esprit, non pas mon esprit, mais un esprit commun. Penser, c’est participer à cet esprit commun, c’est savoir y regarder. Et voilà le dieu du calcul et de la géométrie ; c’est l’esprit commun à vous et à votre semblable. Cet esprit est secourable ; car que faire si l’on a rompu sa propre communication avec l’Esprit ? Cet esprit veut être un ; car il n’y a de preuves de rien si l’on ne se tourne pas vers l’Esprit, si l’on n’y croit pas. Cet esprit nous inspire, comme on dit, des pensées plus ou moins heureuses ; d’où l’on viendra aisément à prier l’Esprit et à remercier l’Esprit. Nous voilà dans les grands sujets, et qui intéressent les hommes. De