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et qui modifie ainsi la forme des muscles intéressés de façon à rendre plus aisé le mouvement qu’on leur fait faire souvent. Ce sont là de vraies traces auxquelles on ne fait pas assez attention. Maintenant on peut supposer encore, quoique ce soit moins visible, des chemins plus faciles tracés par les nerfs, les centres et enfin le cerveau, de façon que, à la suite d’une impression, certains muscles soient plus énergiquement excités que d’autres. Voilà tout ce que le corps vivant peut faire et tout ce qu’il peut conserver. Ce n’est pas peu, comme on voit par cette habileté machinale que l’on observe chez les artisans, les gymnastes et les musiciens, qui est d’ailleurs bien plus souple et bien plus modifiée par l’attention volontaire que l’on ne croit, comme nous verrons ailleurs. Et c’est bien là une mémoire si l’on veut, mais sans pensée, et que l’on appelle ordinairement habitude. Il n’est pas nécessaire ici d’en dire plus long, car nous traitons de cette connaissance des objets absents ou disparus, que l’on appelle proprement mémoire, et souvenir quand elle est plus précise et mieux ordonnée. Disons seulement que les traces laissées dans le corps ne peuvent être autre chose que des traces d’actions, qui nous disposent à les refaire. Et signalons que le langage est une action de ce genre, régie aussi par l’habitude, et qui fournit à nos oreilles des objets véritables qui soutiennent continuellement les souvenirs. Mais il faut aborder maintenant la vraie difficulté qui est à décrire convenablement la perception du temps et de la succession.