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que la respiration et le battement du sang agissent sur nos oreilles et y produisent des bourdonnements, sifflements, tintements. Surtout nous parlons, chantons et dansons, ce qui fixe les images auditives et en appelle d’autres. N’entrons point ici dans l’étude de l’inspiration musicale. Disons seulement que, dans les rêves, les voix que nous croyons entendre sont sans doute souvent notre voix même, les cris, nos propres cris, les chants, nos propres chants. Avec cela nous battons des rythmes par le souffle, les muscles, le sang. Voilà des symphonies toutes faites.

Il reste à traiter du toucher. Et ce n’est pas difficile. Car premièrement les choses ne cessent jamais d’agir sur nous, par froid et chaud, souffle, pression, frottement. En second lieu notre toucher est continuellement modifié par les mouvements de la vie, par fatigue, crampes, fièvre, lésion. Nous croyons sentir des pincements, des torsions, des vrilles, des scies. Ou bien encore nous imaginons des liens autour de la poitrine, une main brutale à notre gorge, un poids écrasant sur nous. Et enfin nos mouvements légers ou vifs nous donnent des impressions bien réelles. Un homme qui rêve qu’il se bat peut se donner des coups de poing. Il peut se lier les bras, se heurter contre un mur, se raidir, se tordre. Telle est la source de nos rêveries les plus tragiques ; et nous ne le soupçonnons point. Mais nous touchons ici aux passions. Ample matière, et l’on ne peut tout dire à la fois.