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CHAPITRE XI

DE L’IMAGINATION PAR LES DIFFÉRENTS SENS

Imaginer, c’est toujours penser un objet et se représenter son action possible sur tous nos sens. Une imagination qui ne serait que visuelle ne serait plus imagination du tout ; ce ne serait qu’une impression colorée sans situation et sans forme. À mesure que l’on tend à réduire les images à des phénomènes du corps humain, on se guérit de l’imagination. Qu’est-ce qu’imaginer un fantôme, sinon le voir en un lieu, et se représenter par quels mouvements on le toucherait ? Faute d’avoir assez réfléchi là-dessus, nos philosophes d’occasion décrivent une imagination seulement visuelle, une autre seulement auditive, une autre seulement tactile, et des types d’hommes qui y correspondent, sans que ces recherches conduisent bien loin. Il n’est pas facile d’apercevoir que toute image visuelle, puisqu’elle enferme toujours relief et distance, enferme par cela même un certain commentaire des muscles. Il fallait donc s’attendre à des réponses ambiguës ou trop complaisantes. Et, pour tout dire là-dessus, il n’y a point d’images, il n’y a que des objets imaginaires. Cet exemple montre bien que la réflexion doit précéder ici les recherches et les éclairer toujours.

Cette réserve faite, il est permis d’examiner comment nous imaginons par chacun de nos sens. Pour le goût et l’odorat il y a sans doute peu de chose à dire, sinon que les objets réels, fournissent moins de matière à l’imagination que ne font les réactions du corps, surtout involontaires comme sont les mouvements de nausée. Et aussi que l’imagination par les autres sens