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mière, qu’un bleu plus riche est réellement un autre bleu, une pression plus forte, une autre pression, et ainsi du reste. Pourtant, je suis invinciblement porté a me représenter une lumière s’accroissant, en intensité seulement, depuis la plus faible impression jusqu’à l’éclat qui m’éblouit. Cette grandeur, qui peut ainsi croître et décroître dans le temps seulement, est proprement ce qu’on appelle l’intensité. Mais il semble que ce ne soit pas la qualité pure, et que nous nous aidions ici de la grandeur proprement dite, pour y ranger sous notre regard ces intensités juxtaposées. Dans la sensation pure, il n’y aurait jamais ni accroissement, ni diminution, ni grandeur à proprement parler, mais seulement changement et nouveauté. Chose inexprimable. Mais enfin il est permis de s’en approcher en raffinant sur l’expression, comme beaucoup l’ont tenté, cherchant à décrire les impressions originaires ou données immédiates, telles qu’elles seraient avant toute géométrie. Mais il suffit de définir ici ces recherches subtiles et de prévoir que le langage ne les traduira jamais qu’imparfaitement. L’étude spéciale de la mémoire expliquera mieux, sans doute, qu’il est vain de rechercher la première expérience, ou la première impression. Ces entreprises enferment, semble-t-il, la perception justement la plus audacieuse, et qui interprète le plus.

CHAPITRE VI

DE L’ESPACE

Peut-être le lecteur commence-t-il à saisir dans son sens plein ce beau mot de représentation, si heureuse-