Cette maladie-là n’est pas l’ennui. Toujours est-il que le théâtre apporte à ces malheureux une émotion qui change leur état et qui, guérie aussitôt, leur donne une liberté d’un instant, que la suite des scènes vient rajeunir. Là est la différence entre le théâtre et la lecture : car on peut s’arrêter dans la lecture, au lieu que la pièce va son train. Il faut seulement que chaque situation en annonce une autre, de façon que l’attention ne se détourne pas un moment ; mais c’est comme une musique plus claire ; l’intérêt n’est que pour conduire d’émotion en émotion, et de délivrance en délivrance ; aussi les artifices du métier l’emportent de loin sur le naturel des situations ; et le dénouement final n’importe guère ; ce n’est qu’une manière d’éteindre les chandelles. Le vrai dénouement est au bout de tous les vers.
Comme on peut pleurer trop au théâtre, si l’on n’y est point fait, ainsi peut-on y rire trop. Car le rire se gagne par la seule imitation, et même sans cause. Mais l’habitué trouve au théâtre un rire plus libre, et modéré par le désir d’entendre la suite. Et il est rigoureusement vrai que la comédie corrige les passions par le rire, mais non pas du tout par l’exemple et les leçons. Non pas l’avare par le ridicule, car il n’y a point d’avare au spectacle ; mais toutes les fureurs et toutes les angoisses et tous les soucis par le rire. Et le difficile n’est pas tant de faire rire, car les spectateurs y aident tous, mais plutôt de faire accepter d’avoir ri. Un esprit plus cultivé ne regarderait pas tant aux causes, et rirait mieux aux farces du cirque, à cause que le cercle des spectateurs y est fermé. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’art dans les bouffons du cirque, et j’y ai souvent trouvé l’art comique le plus profond, qui fait tout, et même par le blanc sur le visage, pour que le spectateur ne puisse jamais se reconnaître. Molière savait aussi ce secret-là.