Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment se règle la voix. Ici les sources se mêlent. Il suffit d’écouter la moindre phrase pour entendre une espèce de chanson, et cette chanson n’est pas sans règles. Naturellement la voix aiguë signifie l’émotion vive, et la voix grave, au contraire, une certaine aisance et possession de soi ; il est donc naturel que, lorsqu’une émotion s’apaise, on retourne au grave et l’on termine enfin sur le ton naturel ; l’intensité suit les mêmes règles ; mais l’intensité croissante vers l’aigu exprimera plutôt la passion, et le contraire, plutôt la volonté ou le conseil. Mais je croirais aussi qu’il y a, dans le travail des muscles parleurs, une règle de compensation, d’après laquelle il faut que ceux qui se sont reposés agissent à leur tour, avant le repos de tous. D’où vient que, par le son seulement, il y a un achèvement de la phrase, que le commencement promet. Ce thème a été développé de mille manières par les musiciens, et l’oreille humaine l’exige surtout lorsque le jeu des sons, ne ressemblant plus guère au jeu de la voix, risquerait de n’avoir plus figure humaine.

Le cri, selon la nature, croît ou décroît en intensité et en hauteur. Le plus simple effet de l’art est au contraire de le maintenir égal à lui-même et de le terminer sans changement, ce qui n’est point facile. Mais aussi l’effet en est que la première alarme est apaisée aussitôt, et qu’il n’en reste que l’attention à ce qui va suivre. Et, comme on ne peut continuer que des cris qui ne fatiguent pas beaucoup, les sons expriment par eux-mêmes une émotion modérée que l’attention retient. Quant aux impuretés qui s’y mêleraient, ce sont toujours de petits changements ; un bruit de voix continué et invariable est donc naturellement un son pur. Et comme c’est celui qui fatigue le moins, c’est donc celui qui se fait le mieux entendre d’une foule. Le son pur est donc l’élément de la musique, et il est beau comme la paix