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toujours présents dans la forêt, mais exorcisés par la géométrie ; en sorte que le mouvement dans le lieu saint est plutôt pour chercher le dieu que pour le craindre ; mais encore la rêverie est-elle toujours ramenée à la terre des hommes, et à l’ordre humain de toute façon. Il est signifié clairement que Dieu s’est fait Homme. Les peintures ramènent l’esprit dans les mêmes chemins, surtout celles de la Vierge mère, si propre à figurer l’espérance humaine, sans aucun dieu extérieur. L’effet est encore grandi par le contraste de cette sagesse ordonnée avec les monstres extérieurs ; en sorte qu’il n’est pas possible que l’on entre en ce lieu sans éprouver une sécurité et une délivrance. Mais une grande politesse est en même temps imposée. Il est surtout remarquable que le bruit de la voix et de tous les mouvements, envoyé par l’écho et rebondissant de la voûte au pavé en même temps que le regard, augmente encore la timidité naturelle. Rien ne peut être improvisé là.

On sait que la messe fut d’abord un festin de commémoration ; l’on devine aussi comment il fallut régler les conversations et les récits, contre les fous survenant et même contre la dangereuse exaltation qui revient toujours lorsque des hommes sont assemblés ; et je ne crois pas qu’il y ait dans ces arrangements autant de mensonge que l’on dit, mais seulement un souci de cérémonie d’autant plus nécessaire que la force n’agissait point. Ainsi peu à peu, d’une pièce récitée est sortie une mimique de pure politesse. Là se trouve la pauvreté de l’église, qui passe richesse, car richesse, force, éloquence sont du même ordre ; mais, contre les passions, il n’y a de persuasion que par silence et prière ; et les chants d’église sont du silence pour les passions. Le théâtre d’église tend donc à représenter la mesure et les égards seulement. Très sagement ; car l’animal pensant est si rusé qu’il trouve encore quelque plaisir