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que la paix de l’âme suppose que l’on prie des lèvres et sans hésiter, ce qui exige qu’il n’y ait point deux manières de dire ; et la coutume du chapelet, qui occupe en même temps les mains, est sans doute ce que la médecine mentale a trouvé de mieux contre les soucis et les peines, et contre ce manège de l’imagination qui tourne autour. Dans les moments difficiles, et lorsqu’il faut attendre, le mieux est de ne pas penser, et le culte y conduit adroitement sans aucun de ces conseils qui irritent ou mettent en défiance. Tout est réglé de façon qu’en même temps qu’on offre ses peines à Dieu pour lui demander conseil ou assistance, on cesse justement de penser à ses peines ; en sorte qu’il n’est point de prière, faite selon les rites, qui n’apporte aussitôt un soulagement. Cet effet, tout physique et mécanique, a bien plus de puissance que ces promesses d’une autre vie et d’une justice finale, qui sont plutôt, il me semble, des prétextes pour ceux qui se trouvent consolés sans savoir comment. Personne ne veut être consolé par une heure de lecture, comme Montesquieu dit ; aussi le chapelet enferme plus de ruse.

L’observation des choses religieuses vérifie nos principes, au delà même de l’espérance. Car, d’après ce qui a été dit auparavant, les peines d’esprit les plus cruelles doivent se guérir aisément par de petites causes, et nos vices n’ont de puissance aussi que par un faux jugement de l’esprit qui nous condamne ; mais le témoignage de chacun y résiste, tant qu’il ne connaît pas assez les vraies causes. Heureusement les conversions subites, dont il y a tant d’exemples, prouvent que les passions sont bien fragiles comme nous disions, et qu’une gymnastique convenable peut nettoyer l’âme en un moment. Mais j’avoue aussi que ces faits fourniront toujours assez de preuves aux religions, faute d’une connaissance exacte de la nature humaine ; car ces guéri-