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attend tout son bien, le premier mouvement est souvent funeste. J’ai observé que, même dans les bons ménages, et quand l’amitié a confirmé l’amour, les moindres disputes arrivent aisément au ton de la violence. Il est vrai aussi que l’amour pardonne beaucoup ; mais il ne faut pas s’y fier, car il n’est pas moins vrai que l’amour interprète beaucoup et devine trop. À quoi peut remédier une vie de famille assez patriarcale, et surtout la présence des enfants, qui, dès leur plus jeune âge, modèrent naturellement autour d’eux l’éclat des voix et la vivacité des mouvements, terminant bientôt les disputes par des cris sans mesure qui donnent une juste leçon. D’où est venu le proverbe que Dieu bénit les nombreuses familles.

CHAPITRE IV

DU CULTE

Je suis bien éloigné de croire que le culte ait pour objet ou pour effet d’exalter la puissance mystique de l’esprit. Tout au contraire les règles du culte apaisent toutes les passions et toutes les émotions en disciplinant les mouvements. L’attitude de la prière est justement celle qui permet le moins les mouvements vifs, et qui délivre le mieux les poumons, et, par ce moyen, le cœur. La formule de la prière est propre aussi à empêcher les écarts de pensée en portant l’attention sur la lettre même ; et je ne m’étonne point que l’église redoute tant les changements les plus simples ; une longue expérience a fait voir, comme il est évident par les causes,