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lorsqu’elle en a réglé les effets. La colère virile, qui est la plus redoutable des passions, est nécessairement refroidie par l’isolement, par le délai, par les règles du combat enfin, qui retiennent l’attention ; sans compter qu’il est très sage de remettre une querelle aux soins d’avocats de bonne foi, qui ne s’échauffent point dans l’affaire. Même la publicité que l’on donne soit à l’arrangement, soit au combat, est bonne tout au moins à arrêter les mauvais bruits et les récits déformés. Les guerres, qui n’ont jamais de causes plus solides que les duels, seraient moins à redouter si le rôle du témoin ou négociateur était mieux compris. Mais ici les témoins veulent faire les braves aussi. Le mal vient de ce que l’on croit que les nations n’en viendront plus à se battre parce qu’elles sont trop familières et rapprochées. Voilà une belle raison, quand on voit que la plus intime familiarité entre deux êtres ne peut guère conserver la paix sans quelque contrainte de politesse. Il le faut pourtant, car à dire tout ce qu’on pense on dit plus qu’on ne pense.

CHAPITRE III

DU MARIAGE

Le mariage, depuis le moment où il est conclu et scellé, est une chose à faire, non une chose faite. Que l’on se soit laissé marier, ou que l’on ait choisi, il reste que l’on a à passer sa vie, dans la plus grande intimité, avec quelqu’un qu’on ne connaît pas, car le premier amour n’éclaire point. Il faut donc faire, au lieu d’attendre.