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Mais comment éveiller un homme à lui-même si on ne croit point en lui ? Et comment croire en lui si l’on ne croit pas d’abord en soi ? Et j’insiste sur ceci, que cette foi en la volonté est elle-même volontaire. Il serait absurde de chercher en soi-même la volonté sans la volonté de la trouver. Et puisqu’en tous ces drames il faut donner d’abord, Descartes a très bien nommé générosité ce mouvement du libre arbitre, réduit à lui-même et s’appuyant sur soi. J’ai observé, en quelques éducateurs et redresseurs, cette certitude de puissance, ce geste de départ et de création qui recommence à neuf. L’âme n’est jamais à découvrir, ni à décrire ; elle est toute à faire et à refaire. Certes on n’est pas ce qu’on veut, mais on n’est quoi que ce soit que si d’abord on veut. L’écart entre l’ambition et le fait sera toujours assez grand ; sans trouver moins, souvent nous trouvons autre chose ; cette déformation est la part des choses ; et nous le saurons assez tôt. La maladie de prévoir est trop honorée. On voit que, sous cet angle, l’écart entre la théorie et la pratique se trouve aboli. Bien mieux, il faut l’abolir, ou, en d’autres termes, il n’y a que le plus parfait modèle qui soit pratique. Telle est l’âme des religions.

Je rendrai plus sensibles ces considérations par l’exemple du remords et du repentir. De l’un à l’autre, il n’y a de différence que la foi, c’est-à-dire la certitude d’une action neuve, immédiatement possible, et tout à fait lavée de la faute. Le remords est un état plus commun qu’on ne croit ; c’est l’idée qu’on n’y pouvait rien et qu’on n’y pourra rien, qu’on est ainsi, que l’on tombera toujours au même passage. Or cette idée paraîtrait ridicule au danseur de corde, au violoniste, à l’orateur. Cette idée, il ne cesse de la nier. S’il connaît quelquefois le désespoir, il s’en échappe, il s’en arrache par le travail. Or, comme disaient les Stoïciens, il n’y a pas de