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et de la joie. Éclairons cette idée par un exemple. Un homme qui tombe d’un toit n’est pas un homme en cela ; il tombe comme une pierre. Et c’est pourquoi il est plus sain et plus juste de retrouver la physiologie apprise dans les spectacles et dans les actions où l’homme se montre ingénieux et fort, comme dans les travaux de terre ou de mer, dans les jeux athlétiques, dans les fêtes et célébrations ; car c’est le triomphe qui fait voir l’homme vrai, comme c’est l’admiration et l’émulation, non la timidité et la peur, qui font voir ce dont l’enfant est capable. Et il importe beaucoup de repasser et fortifier en soi-même cette idée, parce qu’elle est de celles que les rencontres épargnent le moins. Détournez-vous donc des expériences qui rompent le courage, non pas par cette raison vulgaire qu’elles sont contraires au bonheur, mais par cette raison plus cachée qu’elles ne sont point favorables à la connaissance vraie de l’homme.

L’autre erreur, que je nomme esprit de divination, est plus aimée et plus dangereuse. Elle consiste à remonter du signe à l’idée et à surprendre, d’après les mouvements physiologiques, gestes, rougeur, changement des yeux et de la bouche, et choses de ce genre, une opinion que l’homme peut-être voulait nous cacher, et, bien mieux, qu’il se cache peut-être à lui-même. On voit ici entrer en scène l’inconscient, le subconscient, et la terrible clairvoyance de celui qui voit à travers l’homme. Je ne veux pas entrer dans les raisons de doctrine, qui sont fort subtiles. J’avertis seulement, d’après ma propre expérience, que cette ambitieuse méthode se meut toute dans l’imaginaire. Je veux bien recevoir le principe d’après lequel il correspond à tout geste et mouvement un changement dans les pensées. Mais, remarquant que les pensées d’un homme lui sont déjà fort mal connues, tant qu’elles ne sont pas appuyées à un objet stable et à un travail régulier, j’assure que