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liser encore mieux le travail humain, dans l’intérêt de tous. On sait assez que, dans les coopérations, les chefs élus n’ont pas toujours la liberté nécessaire pour instituer de nouvelles méthodes de travail. Il est assez clair aussi que les progrès de l’industrie restituent déjà à l’acheteur une partie des avances du producteur, sans compter les avantages pour la sûreté, contre la maladie, contre l’ignorance, et même contre les pouvoirs tyranniques, qui résultent des nouvelles conditions du travail. Les vices d’une telle organisation ne sont pas sans remèdes, et l’on oublie toujours trop l’état de servitude et d’ignorance où se trouvait le paysan avant que l’industrie eût assaini et embelli de toutes manières la vie campagnarde. Et, tout compte fait, nul ne sait comment on pourrait ralentir ce mouvement d’industrie. Mais il est né, de la situation même, un grand nombre de solutions, comme assurances, retraites, part aux bénéfices, ou simplement conservation des richesses en vue de multiplier la production. Ces solutions sont toutes bonnes, et même celle de l’avare le moins ingénieux ; car en conservant tout l’or qu’il voudra, il ne prive personne d’aucun produit et ne fait qu’accaparer un instrument d’échange, au reste pour un temps. Ces maux sont petits, et ne répondent pas, à beaucoup près, aux maux que l’on doit toujours attendre des passions, aussi modérées qu’on les suppose. L’injustice n’est point là.

On blâmerait, au contraire, un avare qui, par une espèce de folie soudaine, paierait quelques milliers d’ouvriers pour un travail entièrement inutile, comme de creuser un grand trou, et d’y remettre ensuite la terre. On le blâmerait, d’abord parce qu’il pourrait aussi bien payer ces ouvriers pour qu’ils se reposent, ou pour qu’ils travaillent à quelque jardin ou maison pour eux-mêmes ; en allant plus au fond, on le blâme-