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aux improvisations de l’humeur. Prise ainsi, la conversation polie est bonne. Alceste s’appliquait mal à être sincère. Il ne faut qu’un effort de bienveillance et de sagesse pour que la sincérité soit facile.

Pour les pensées proprement dites, mieux étudiées, et bien assurées par la lecture, la confrontation, l’exploration par tous chemins, et enfin par toutes les épreuves, il ne faut pas non plus que le besoin de les dire soit pris pour un devoir. Mais c’est un plaisir assez vif pour que les confidences des auteurs ne nous manquent jamais. Si l’on y cède, que ce soit toujours par écrit, car la mémoire déforme trop ; que ce soit toujours assez serré pour qu’on ne puisse le lire en courant ; et que toutes les nuances y soient, et tous les doutes, et les harmonies qui offrent plus d’un sens, comme l’honnête langue classique le permet à ceux qui l’aiment, en récompense.

CHAPITRE IV

DE LA JUSTICE

On dit « un esprit juste », et cette expression embrasse beaucoup plus que les égards qu’on doit aux autres. Le mot droit présente la même admirable ambiguïté. Utile avertissement au premier regard sur ce vaste objet ; car ce qui est droit, c’est déjà une idée. Mais l’esprit juste est encore quelque chose de plus que l’esprit qui forme une idée et qui s’y tient ferme, ne voulant point que sa définition soit courbée par aucun essai d’expérience. L’esprit juste, il me semble, est celui qui ne met point trop d’importance aux petites