les blesse. S’il faut quelquefois démasquer et punir un vil coquin, ou gâter un peu son triomphe, cela concerne la justice. Mais, hors de ces obligations strictes, l’expérience de l’humeur et des passions nous conseille d’attendre ; et les opinions sur d’autres ne sont jamais assez assurées pour que l’on ose condamner. Toute condamnation pèse. Surtout je tiens qu’on ne doit pas dire aux enfants ce que l’on croit d’eux, si ce n’est bon ; et le mieux serait de n’en croire que le meilleur, et des hommes aussi. Et puisqu’enfin il faut parler quelquefois sans peser tout, il ne faut donc parler ni de soi ni des autres, mais plutôt des choses, parce que nos jugements ne leur font rien.
L’éducation et les manières conduisent à une telle prudence, par l’expérience des effets. Et l’on dit souvent que cette bienveillance est mensonge ; en quoi on ne se trompe pas tout à fait. Car il y a une dissimulation qui fortifie les pensées malveillantes ; et il y a une éloquence intérieure par laquelle on se venge souvent des plats discours et des flatteries de convention. Cet état est le plus violent dans les passions ; car il s’ajoute à la tristesse et à la colère la peur de parler ou de se trahir ; c’est une vie étranglée qui marque sur les passions ; ce trouble s’ajoute à la timidité et souvent l’explique toute, et la conversation est vide et ennuyeuse avec ces gens-là ; leur travail est de ne rien dire en parlant beaucoup. Il n’y a donc de vertu dans la politesse qu’autant qu’on y cède, et que l’on laisse aller et se dissoudre tous ces jugements que la politesse force à cacher. En sorte que la politesse est mensonge dans ceux qui ont des passions et qui s’y attachent, mais sincérité dans ceux qui consentent à n’avoir que de l’humeur ou qui sérieusement s’y efforcent. Il y a enfin deux manières de ne point mentir ; l’une qui est de dire tout ce qui vient, et qui ne vaut rien ; l’autre qui est de ne pas trop croire