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est royale, comme le courage. Ce qui fait peur, c’est toujours cette imagination déréglée, dans le silence des choses, dans l’éloignement du danger, oui, ces apparitions arbitraires, ces miracles d’un moment, ces dieux et ces génies partout, ce danger sans corps et sans forme, cette nature animée. Mais l’horreur est dans ces yeux sages à qui il n’est pas permis de recevoir ces folles apparences ; le mal de la peur, c’est la contemplation d’une déchéance, ou d’un désordre, hors de soi, en soi. Il y a une grande honte dans la peur. Mais ce n’est qu’une épreuve aussi et qui annonce un fier courage. Car ce petit monde effrayant ne tient que par toi, et ta peur aussi ne tient debout que par ton courage. Ce scandale annonce autre chose, car qui se rend à sa peur tombe dans la nuit sans pensée. Veut-on comprendre enfin que la conscience morale, c’est la conscience même ?

On a assez remarqué que la peur est plus grande de loin, et diminue quand on approche. Et ce n’est point parce qu’on imagine le danger plus redoutable qu’il n’est ; ce n’est pas pour cela, car à l’approche d’un danger véritable on se reprend encore. C’est proprement l’imagination qui fait peur, par l’instabilité des objets imaginaires, par les mouvements précipités et interrompus qui sont l’effet et en même temps la cause de ces apparences, enfin par une impuissance d’agir qui tient moins à la puissance de l’objet qu’aux faibles prises qu’il nous offre. Nul n’est brave contre les fantômes. Aussi le brave va-t-il à la chose réelle avec une sorte d’allégresse, non sans retours de peur, jusqu’au moment où l’action difficile, jointe à la perception exacte, le délivre tout à fait. On dit quelquefois qu’alors il donne sa vie ; mais il faut bien l’entendre ; il se donne non à la mort, mais à l’action. C’est pourquoi on voit que, dans les guerres, la peur et la haine sont à l’arrière