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CHAPITRE PREMIER

DU COURAGE

Si disposé que l’on soit à prêter aux animaux toutes sortes de sentiments et d’intentions, on ne peut pourtant pas supposer du courage même dans les plus féroces. C’est merveille comme, après avoir donné un moment l’image de l’audace la plus déterminée, ils s’enfuient ou se cachent le plus simplement du monde. On définit souvent l’homme par la raison, et cette définition convient à tous, et même aux fous, si l’on sait apercevoir la raison dans les passions, car ce n’est pas peu de chose que de se tromper ; mais on pourrait aussi définir l’homme par le courage, car rien n’est plus commun, on pourrait dire plus ordinaire, et le premier venu, dans une catastrophe ou dans une guerre, s’élève d’un mouvement aisé, et sans fureur animale, au-dessus des circonstances les plus terrifiantes. Le misanthrope devrait considérer de bonne foi que la vertu la plus belle est aussi la plus commune ; il aimerait cette noble espèce et lui-même aussi.

Je définirais bien l’homme par la peur aussi ; car je ne puis penser que l’animal ait peur ; il fuit, ce n’est pas la même chose ; et tous ces efforts d’idolâtrie pour laisser à l’animal quelque faible sentiment, même de ses maux, sont décidément vains. La raison est entière, clairvoyante et inflexible dans la peur même ; la peur