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vagues qui sont l’indice d’un grand travail musculaire, mais sans action. Cette tempête finit en rire ou en larmes selon la violence de la crise. Chez l’adulte, les médecins considèrent les larmes comme une solution favorable de ces états d’extrême contracture qui peuvent conduire à la mort ou à la folie. On s’explique par là qu’une rosée de larmes exprime nos joies les plus profondes, ; mais toujours après un étonnement ou un saisissement. Le sublime nous touche aux larmes, sans doute par un double mouvement ; car le sublime au premier moment nous accable ; mais aussitôt le jugement comprend et domine ; de là un sentiment souverain qui s’élargit et couvre le monde, et, par réaction contre l’étonnement, ces douces larmes. On s’étonne que beaucoup de cœurs secs aillent pleurer au théâtre ; c’est qu’il leur faut la déclamation et la puissance des signes autour d’eux pour que leur vraie puissance leur soit sensible un moment. Il s’y mêle sans doute alors quelque retour sur soi et quelque pitié ; aussi c’est bientôt fait de se tromper là-dessus ; et peut-être le spectateur se trompe lui-même ; peut-être croit-il s’enivrer d’une pitié qui ne coûte rien. Nos joies nous trompent autant que nos douleurs.

Les larmes suivent aussi le paroxysme de la douleur, ou plutôt de la fureur ; elles seraient donc toujours soulagement et signe de consolation. Aussi les larmes ne sont-elles point proprement le signe du chagrin. Ce sont plutôt les sanglots, toujours suivis de larmes. L’horreur est comme un mélange de peur et de colère ; c’est une contracture qui ne peut durer, mais qui ne finit pas non plus subitement. Après la première détente et le premier flot de larmes, le malheur apparaît de nouveau, et la crispation suit ; le malheureux se sent mourir encore une fois et cherche de nouveau les larmes ; bientôt il s’y jette en s’abandonnant tout ; mais la fureur