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à ce que l’on éprouve, et aussi parce que l’action fait jouer les muscles, les masse, délivre le sang et soulage le cœur. En revanche, l’attente de la peur, c’est la peur même. C’est pourquoi il y a des peureux par préjugé, comme dans la nuit, ou dans un cimetière, ou sur l’eau, ou à un certain tournant de rue. La peur ne manque jamais au rendez-vous. C’est ici qu’on voit à plein en quel sens on se connaît soi-même ; autant qu’on se croit faible et impuissant, certainement on l’est ; non pour agir, car souvent nos actions passent notre espérance, mais pour souffrir. Ainsi l’observation de soi-même est proprement une folie qui commence.

CHAPITRE X

DE LA COLÈRE

La colère naît souvent de la peur. La première occasion d’agir ou seulement de parler oriente alors toute l’agitation musculaire ; mais il reste dans l’action quelque chose du tremblement de la peur ; tous les muscles y concourent, et l’agitation est encore augmentée par ses propres effets, comme on voit si bien dans l’enfant qui crie de toutes ses forces, et crie encore plus par le mal qu’il se donne et par le bruit qu’il entend. Est-ce ici peur ou colère ? On ne sait : les deux sont mêlés. Chez l’homme fait il y a toujours, dans toute colère, une certaine peur de soi-même, et en même temps un espoir de soulagement comme si la colère nous déliait ; et elle nous délie, si elle tourne à l’action. Mais souvent elle se dépense en gestes et en paroles, non sans éloquence quelquefois. On n’en peut