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une allure ferme et décidée qui trompera toujours.

L’action du fou est à corps perdu. La peur combat très mal. Effet d’une croyance lourde, qui livre l’action aux forces. Mais l’action libre, comme du bon escrimeur, est douteuse à tout instant, et puissante par là. Vive et prompte, mais non emportée. Soudaine dans le départ et dans l’arrêt. Toujours prête au détour, au recul, au retour, selon le jugement. Toute action, d’inventeur, de gouverneur, de sauveteur, trouve ici son modèle, et l’action de guerre même, dans son tout et dans ses parties. Je n’oublie point l’action de l’artisan, plus harmonieuse encore et plus riche de sagesse peut-être, par la solidité de l’objet, et par ce loisir d’un instant que les autres actions ne laissent pas assez ; toutefois moins directe contre les passions parce qu’elle ne les éveille point. Actions pesées, actions pensées. Ainsi la gymnastique est la première leçon de sagesse, comme Platon voulait.

Spinoza, disciple plein de précautions, à ce point qu’il semble arrêter tout, a voulu avec raison que l’on distingue l’incertitude et le doute. Beaucoup disent qu’ils doutent, parce qu’ils ne sont assurés de rien. Mais la timidité et la maladresse ne font pas l’escrimeur. Ainsi le désespoir ne fait pas le penseur. Qui n’est assuré de rien ne peut douter ; car de quoi douterait-il ? Au vrai ces prétendus douteurs ont plutôt des croyances d’un moment. Ainsi agit, si l’on peut dire, un homme qui trébuche sur un tas de briques.

Chacun doute le mieux de ce qu’il connaît aussi le mieux. Non point, comme le spectateur veut dire, parce qu’il a éprouvé la faiblesse des preuves ; au contraire, parce qu’il en a éprouvé la force. Qui a fait peut défaire. Jusqu’au détail ; il est d’expérience que la preuve est essayée par un doute plein et fort. S’il craint de douter, la preuve reste faible. Euclide est un homme qui a su douter, contre l’évidence. Et la géométrie non eucli-