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est tout voulu ; il va droit à la raison enchaînée ; et les signes ne manquent jamais. C’est pourquoi cette espérance est ferme et décidée plus que l’autre, quoiqu’elle reçoive moins de récompenses. Son nom est charité, et la sagesse théologique l’a mise avec la foi et l’espérance, au nombre des vertus, ce qui avertit assez que la bonne volonté y doit suffire, et que l’humeur la plus favorable ne les remplace point. Comme ces vertus, trop oubliées par les philosophes, ne déterminent aucun genre d’action, mais les éclairent toutes, c’est pour cela que je les mets ici comme trois lampes à porter devant soi, pour tous chemins.

CHAPITRE X

DU GÉNIE

Le génie, c’est l’action aisée, sans délibération, sans erreur et imprévisible. Peut-être pour le comprendre faut-il considérer seulement les improvisateurs, et saisir, si on le peut, l’entrée en scène de cette liberté réglée et infaillible. Sur quoi la musique peut nous instruire, du moins par conjecture ; car il y a quelque chose de si naturel et de si attendu dans la belle musique que je crois qu’un chanteur qui écouterait le son, sans se détourner vers autre chose, trouverait dans cet objet ce qui y est annoncé et qui en est la suite ; mais cette attention pleine est impossible avec le retour sur sol, le scrupule et l’idée préconçue ; il ne s’agit pas ici de prévoir, mais de faire ; si l’on attend, tout change, car un son prolongé annonce autre chose qu’un son bref ;