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motifs n’existent que par la grâce du juge. Encore bien plus mépriserons-nous cette balance, où le juge essaierait ses motifs comme des poids. Autant qu’on peut se faire une idée d’un fou tranquille, c’est ainsi qu’il penserait. Et prenons garde aussi à ceci, c’est que si j’analyse en psychologue ma délibération au sujet d’une promenade, mes motifs semblent alors à l’écart comme des choses. Mais pourquoi ? Parce que mon jugement examine alors la nécessité et le libre arbitre, non la promenade. L’expérience d’un acte libre ne peut consister qu’à agir librement, au lieu de réfléchir sur le problème du libre arbitre. Ne cherchez donc point la liberté dans des exemples de professeur.

Pour l’exécution, il y a beaucoup à dire aussi, et du même genre. Car l’exécution suppose une suite d’actes et un chemin qui change les perspectives et éclaircit les motifs, pour peu qu’on regarde. Et souvent la délibération suppose plus d’un essai. L’action est comme une enquête encore. C’est encore folie, et assez commune aux passions, que de se lier au parti qu’on a pris imprudemment. Et dans cette idée populaire qu’une fois mal lancé on ne peut plus se retenir, j’y reconnais l’idole fataliste. Par là se définit l’obstination, qui n’est jamais sans colère. Inversement une volonté suivie ne se croit point quitte quand elle a décidé, et ne s’arrête point aux obstacles ; et c’est persévérance alors, par recherche et délibération de nouveau. Il y plus de deux chemins et des carrefours partout. La volonté se montre moins par des décrets que par une foi constante en soi-même et un regard franc à chaque pas.

Il faut considérer aussi le pouvoir moteur, qu’on décrit très mal en considérant le sentiment de l’effort contrarié, qui ramène l’attention justement où il ne faudrait point. Le pouvoir d’agir s’exerce d’abord par