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CHAPITRE VIII

DU LIBRE ARBITRE ET DE LA FOI

Libre arbitre est mieux dit que liberté. Ces vieux mots apportent en eux l’idée capitale du juge, dont toute liberté dépend. Il n’échappe à personne que, sans jugement, il n’y a point de liberté du tout. L’instinct commence, les passions suivent, et les motifs ne sont que des signes émouvants. C’est déjà autre chose si d’abord le jugement renvoie les premiers mouvements à leur source ; ce mécanisme, laissé à lui-même, trouve bientôt son équilibre. Ensuite, parmi les motifs d’agir, les uns périssent en même temps que la passion, et, comme elle, à peine nés. Les autres sont représentés par juste perception, suivis jusqu’aux effets ; enfin la route est explorée. Ou bien, pour des raisons préalables, je refuse au motif de la faire vivre seulement ; car c’est une sagesse aussi de ne pas examiner, et un honnête homme ne s’amuse pas à chercher comment il pourrait voler sans être pris, encore moins comment il pourrait violer ou séduire. Ou bien encore, allant droit aux images, il les réduit à d’exactes perceptions. De toute façon, il est bien loin de celui qui se regarde vivre, curieux de savoir jusqu’où ses désirs le conduiront. N’oublions pas le parti royal, qui est de ne point même considérer les petites choses, car le sage sait que tout est changement et dissolution dans les jeux d’images, quand le jugement ne les retient point. Par ces descriptions où l’homme de bonne foi se reconnaîtra, nous sommes bien au-dessus déjà de ces inventaires mécaniques, et encore sans géométrie, où les motifs paraissent comme des plaignants ou des solliciteurs. Ici les