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considère les positions des astres seulement. Non seulement un ensemble de causes ou de conditions détermine rigoureusement un ensemble d’effets, mais encore le travail ou, comme on dit, l’énergie, qui comprend aussi le travail moléculaire supposé, se retrouve dans l’effet en quantité égale, quelles que soient les transformations. Par exemple la chute d’une certaine masse, depuis une certaine hauteur, se traduira toujours par la même vitesse à l’arrivée, et le choc, s’il transforme en chaleur ce travail accumulé, fondra toujours le même poids de glace à zéro. Les vivants n’échappent point à cette loi. Autant qu’on peut isoler un animal, l’énergie qu’il dissipe en mouvement et en chaleur égale l’énergie chimique enfermée dans ses aliments, diminuée de celle qui subsiste dans les excrétions. Voilà ce que l’entendement pose, en prenant pour modèle les opérations mathématiques, qui sont des systèmes parfaitement clos. Pour les systèmes imparfaitement clos, la vérification est toujours ce qu’on peut attendre, d’après le soin qu’on a apporté à exclure des causes étrangères. Il n’y a aucune raison de supposer que des causes encore mal mesurées échappent à cette règle, et même, comme il a été expliqué, une telle supposition ne peut être faite qu’en paroles et que tant qu’on ne sait pas de quoi on parle. Il est donc inévitable qu’un esprit exercé aux sciences étende encore cette idée déterministe à tous les systèmes réels, grands ou petits.

Ces temps de destruction mécanique ont offert des exemples tragiques de cette détermination par les causes sur lesquels des millions d’hommes ont réfléchi inévitablement. Un peu moins de poudre dans la charge, l’obus allait moins loin, j’étais mort. L’accident le plus ordinaire donne lieu à des remarques du même genre ; si ce passant avait trébuché, cette ardoise ne l’aurait point tué. Ainsi se forme l’idée déterministe populaire,