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courte de l’explosif. L’humeur est située à ce niveau, et même encore au-dessous ; en cela impossible à saisir comme telle, car la saisir, c’est la penser et la remonter ; c’est par ce mouvement que l’irritation devient colère, ou que l’effervescence devient anxiété ; et l’on jugerait très mal de l’humeur d’après les opinions, et telle que le caractère la façonne d’après des préjugés forts ; un pressentiment comme humeur est encore bien au-dessous d’une tristesse indéterminée ou d’une anxiété sans objet ; toujours nous pensons l’humeur ; et non pas selon la vraie méthode, mais plutôt en cherchant un contenu d’opinions qui y convienne. La sagesse doit reprendre l’humeur autrement, et d’abord par théorie, de façon à comprendre que l’humeur n’enferme nullement telle pensée ou telle autre, mais s’accommode de toutes.

Pour y parvenir, il faut saisir l’humeur sous l’autre aspect, comme mouvement seulement ou plutôt régime de mouvement ; et voici la différence. Le mouvement que je fais pour écarter un coup n’est que mouvement ; mais la préparation, l’esquisse du mouvement devant la menace, la contracture ou l’agitation qui suivent, la respiration courte, les battements du cœur sont de régime et déterminent déjà l’humeur. On comprend sans peine que l’âge, la force, la santé, la fatigue, la structure d’un côté et le savoir-faire de l’autre changent le régime et l’orientent pour l’un vers l’irritation, pour l’autre vers l’anxiété ; en quoi l’humeur dépend du tempérament, du climat et du métier. Mais on peut former préalablement une idée abstraite de divers régimes, ce qui éclaire déjà bien mieux l’humeur que ne peut faire n’importe quel jugement sur soi. L’homme ne sait jamais assez comme il est mécanique, et par conséquent maniable, pour lui-même.

Une toux est maniable si on la juge mécanique ;