Page:Alain - Éléments de philosophie, 1941.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il verra apparaître des lois de succession des exposants et une symétrie des coefficients qui lui feront entrevoir la fonction de l’objet comme tel dans l’expérience apprêtée de l’algébriste. Les déterminants offriraient un exemple peut-être plus frappant encore de ce retour des naïves figures propres à vérifier les comptes. Mais ces rapports sont partout dans l’algèbre, et bien frappants dès qu’on est averti. Comme les courbes géométriques peuvent représenter des rapports physiques jusqu’à en proposer souvent des conséquences non encore essayées, ainsi l’algèbre peut représenter la géométrie et toutes choses, mais par des rapports de même espèce, quoique plus simples et plus lisibles, qui sont des rapports d’objets artificiels groupés et rangés par la plume, et dans lesquels éclatent aussi des surprises et des orages.

NOTE

Je crois utile de parler ici des nombres, qui forment une des plus belles inventions de l’esprit. Les amas ne sont point des nombres, car il reste à les compter. L’opération de compter consiste à épuiser un amas par des mouvements comparés à ceux qui épuisent un amas connu. Ensuite le langage des nombres permet de compter directement les actions ; mais l’idée d’égalité dans les nombres semble dépendre d’une correspondance entre des objets alignés et comptés ; par exemple, autant de soldats, autant de boules de pain, etc. On découvrit des axiomes, par exemple que deux nombres égaux à un troisième sont égaux entre eux, et bien d’autres principes concernant le plus grand et le plus petit. Les avares furent naturellement artistes en cet art de compter et de ranger. Les grands comptes se font alors par rangements, comme on faisait en empilant les pièces d’or ; alors fut découverte la multiplication qui est une méthode abrégée de compter des pièces empilées et rangées, ce qui est le commencement du calcul. Quand on eut nommé la suite des